joi, 9 iulie 2009

Stendhal ou le réalisme subjectif

Stendhal ou le réalisme subjectif

Armance, quelques scènes d’un salon de Paris en 1827, roman mondain et d’analyse, propose la courte et tragique histoire d’un jeune aristocrate-polytechnicien.

Le style est uni et transparent, hérité de la langue abstraite et pudique, de l’euphémisme et de la litote classique.

Le Rouge et le Noir est roman d’amour, mais aussi roman de mœurs qui peint les libéraux de province, le grand séminaire et le faubourg Saint-Germain. Une chronique du XIXe siècle.

Lucien Leuwen. A cause de son extraordinaire documentation, de son réalisme, apparaît comme « le plus balzacien » des romans de Stendhal.

La Chartreuse de Parme. Une passion italienne, faite de cruauté et d’énérgie. Merveilleux roman romanesque. Roman d’aventures aussi et roman de mœurs politiques. 

En son temps, Stendhal n’espérait pas être compris que de très peu de gens. Il a un goût de l’exactitude et d’une vérité qui soit universelle, fortifiés par la fréquentation des philosophes du XVIIIe siècle et des idéologues dont il partage le désir de rendre parfaitement claire la mécanique morale. A tout cela s’ajoute une tête romanesque.

Stendhal a dit: « Je n’ai jamais songé à l’art de faire un roman. »

Le premier en date des grands romanciers réalistes.

Stendhal a dit: « Le roman est un miroir qu’on promène le long d’un chemin. »

Ce romancier qui veut dire exclusivement le réel a passé pour abstrait; ce romancier qui a voulu laisser parler seulement les faits, et se faire aussi discretement que possible, est le plus subjectif qui soit.

Ce n’est pas le monde extérieur qui l’intéresse, mais la conscience de l’individu et le développement de ses passions.

Il veut garder de l’action uniquement son « résumé moral ».

La curiosité psychologique du romancier, son souci d’analyse se manifestent dans ces monologues ou examens de conscience où le héros se demande ce qu’il doit faire pour garder sa propre estime.

Stendhal croit l’homme enfermé dans ses sensations. Ainsi, il nous livre du réel seulement ce que son point de vue du moment, son attention ou son émotion lui ont permis de percevoir ou de sentir.

Emiettement du réel, relativisme avoué de la vérité. Il y a un univers balzacien, il n’y a que des héros stendhaliens.

Stendhal raconte. Il refuse le style « brillanté » et les grands mots.

Le style de Stendhal refuse d’en être un, et ne reflète que le bonheur d’écrire; il produit sur le lecteur moderne une étonnante impression de liberté et de légèreté, l’impression aussi qu’on n’a pas affaire à un auteur, mais à un homme.

[source Rose Fortassier, Le roman français au XIXe siècle] 

"Le rouge et le noir”

Intérêt de l'action

Stendhal, qui pensait que «le roman doit raconter», que c'est «un livre qui amuse en racontant», fut très soucieux de l'action. Cependant, il ne montra pas d'originalité, ne voulant pas se laisser aller à des affabulations romanesques.
Or lui, qui pensait qu'il n'y avait plus d'exemples de volonté, d'énergie, de passion, d'idéal, que dans le peuple, trouva, dans “La gazette des tribunaux” dont il était un fervent lecteur, deux faits divers où il vit la preuve que, «même en France, même sous la Restauration, l'amour et la jalousie pouvaient être des sources d'énergie, au moins dans les classes modestes.» Ces faits divers, l'affaire Lafargue (ouvrier qui était amoureux d'une femme mariée qui voulut rompre : il se vengea en la tuant) et, surtout, l'affaire Antoine Berthet (fils d’un maréchal-ferrant, il fut admis au séminaire de Grenoble [la ville natale de Stendhal] ; mais, très malade, il fut obligé d'interrompre ses études et devint précepteur dans une famille riche ; il fut alors accusé d'avoir une liaison avec la maîtresse de maison ; renvoyé, il reprit du
service dans la maison voisine où il fut soupçonné de séduire la mère de ses élèves ; persécuté par son ancienne maîtresse qui ne supporta pas d'avoir été si facilement remplacée, il se vengea et lui tira dessus ; il fut ensuite condamné à mort et guillotiné) sont à l'origine du roman dont l’idée lui vint en 1828, au cours d'un voyage à Marseille. En proie à la fièvre de l'improvisation, il se lança, pendant un mois, dans l'ébauche de ce nouvel ouvrage qu'il intitula provisoirement “Julien”. 
De retour à Paris, il reprit son roman en janvier 1830 et, pendant onze mois, écrivit sur un rythme napoléonien, se débonda dans une frénésie de création. Cependant, comme il n'avait pas d'esprit inventif, comme, confia-t-il dans une lettre, «dans les romans, l’aventure ne signifie rien. Ce qu’il faut au contraire se rappeler, ce sont les caractères.», il apprécia «l'avantage de travailler sur un conte tout fait», et ne modifia donc que très peu les données réelles, accepta le cadre commode que l'actualité lui apportait. Il reste qu’il inséra le fait divers sordide dans une structure étudiée, dans une atmosphère décrite avec minutie et, surtout, le centra sur un personnage psychologiquement très développé. 
Il alla chercher au fond de lui-même les caractéristiques principales de Julien Sorel, lui faisant accomplir un périple qu'il aurait pu vivre lui-même, laissant jaillir, à l’âge de quarante-six ans, des souvenirs d'émotions et des réflexions qu'il avait accumulés pendant de longues années d'amour, de lectures, de musique, de voyages, de rêves. La création étant chez lui, comme chez tous les grands écrivains, le fruit d'une synthèse, il emprunta à plusieurs personnes réelles des traits de caractère qu'il n'a attribués qu'à un seul personnage, comme cela semble le cas pour Mathilde de La Mole, tandis que, inversement, les souvenirs qu’il avait de son père lui ont servi à noircir à la fois le portrait du père Sorel et celui de M. de Rênal. 
Au cours d'un véritable travail de maturation, l'oeuvre s'est encore enrichie d'une foule d'anecdotes ou de personnages fournis par le XIXe siècle, et il a procédé à une véritable transposition romanesque :
- en donnant à Mme de Rênal une puissance de passion plus concevable dans l'Italie du XVIe siècle que dans une tranquille petite ville de la province française sous la Restauration ; 
- en faisant de Mathilde de La Mole, fille d'un noble ultra de 1830, une personne «faite pour vivre avec les héros du Moyen Âge» ; 
- surtout, en donnant à Julien Sorel sa propre sensibilité et en en faisant le représentant d'une époque et d'une génération. Les deux séductions réussies par Antoine Berthet devinrent, chez lui, deux sortes d'amours, deux étapes dans une ascension sociale qui est compromise par la révélation surprenante de la passion, mais permet l'accession au bonheur quand toute ambition est abandonnée.
Stendhal n'avait jamais «songé à l'art de faire un roman» : «Je ne me doutais pas des règles. Je compose vingt ou trente pages puis j'ai besoin de me distraire. Le lendemain matin, j'ai tout oublié, mais, en lisant les trois ou quatre dernières pages du chapitre de la veille, le chapitre du lendemain me vient», confia-t-il dix ans plus tard à Balzac. Aussi a-t-il composé son roman sans plan («Le plan fait d'avance me glace. Je ne puis faire le plan qu'après, et en analysant ce que j'ai trouvé.»), selon son état d'esprit quotidien, procédant par saccades, par un chapelet d'improvisations («Mon talent, s'il y a talent, est celui d'improvisateur») qui reflètent l'évolution des personnages, et c’est pourquoi, parfois, les transitions manquent.
Le titre définitif ne fut adopté qu'en mai 1830. Les chapitres ont aussi des titres, sauf les quatre derniers.

‘’Le rouge et le noir’’ est sous-titré “Chronique du XIXe siècle”, ce qui indique donc une volonté de reflet fidèle et minutieux d'une époque. C'est donc, d’une part, un roman réaliste répondant à la définition qui y est donnée, selon une formule attribuée à Saint-Réal, un obscur historien du XVIIIe siècle, mais qui est plus probablement de Stendhal : «Un roman, c'est un miroir qu'on promène le long d'un chemin» (page 90) ou « qui se promène sur une grande route» (page 381) et même d'un réalisme prétendument objectif («Et l’homme qui porte le miroir dans sa hotte sera par vous accusé d’être immoral» [page 381]). Stendhal entendait fonder la fiction sur le vrai et «copier les personnages et les faits d'après nature». Son tableau est une dénonciation de la société du temps. L’analyse psychologique, si elle est fondée sur une attention extrême portée à un individu, est conduite sans concession et, de ce fait, est réaliste. La réflexion philosophique est une dénonciation de la société. Enfin, le style est sobre.
Cependant, le sujet de l’amour impossible, le comportement de Julien quand arrive la lettre de Mme de Rênal, son bonheur en prison en dépit de l’attente de la mort, le sens profond du roman, en font aussi une œuvre romantique. Mais, refusant le pathétique, Stendhal, par exemple, éluda les détails de l’exécution.

Le champ de ce roman est une lutte entre le romanesque moderne de l'ambition et de l'ascension sociale, et le romanesque traditionnel de l'amour. Cette lutte se poursuit dans les deux parties. 
Dans la première partie, ambition et amour semblent occuper tour à tour l'esprit du héros qui est tiraillé entre eux ; il en résulte une insatisfaction profonde. L'ambition, suscitée par l'admiration pour Napoléon, règne seule d’abord pour la simple raison que Julien ne connaît pas de femme. L'amour que lui porte Mme de Rênal, en lui permettant de parader lors de la visite du roi (pages 114-128), excite alors son ambition : conquérir le coeur d’une femme de rang supérieur, c’était gagner une bataille sociale. Il l’aime parce qu’elle est socialement élevée, mais cette supériorité l’empêche d’aimer librement. Cet amour est ensuite vraiment senti et l’ambition est calmée. Mais il est compromis par la péripétie de la maladie du fils de Mme de Rênal (page 128), qui soumet les deux amants à un dilemme (page 131) ; par la péripétie de la dénonciation par Élisa (page 134), des lettres anonymes (épisode quelque peu comique par le ridicule de M. de Rênal) et aboutit à la nécessaire séparation. Ainsi, finalement, à Verrières, l'ambition est submergée par l'amour. 
Au séminaire de Besançon, Julien ne peut plus que travailler à son ambition, mais elle se butte à l'hostilité du milieu. Par bonheur, il trouve un allié en l'abbé Pirard et peut ainsi s'échapper.
La seconde partie semble d'abord plus explicitement placée sous le signe de l'ambition. La progression sociale du héros s'effectue par le succès de sa mission à Londres (page 298) et, surtout, par la conquête de Mathilde, auprès de laquelle il se comporte en vrai parvenu (page 340), séduit par les honneurs, le luxe, l'élégance. La satisfaction de la réussite sociale nourrit l'amour-propre ; elle est une manière d'acquérir le respect de soi, besoin vital du héros stendhalien. En fait, il n'a pas vraiment de plan à long terme, il adopte des modèles successifs. L'amour n'est donc pas alors en opposition avec l'ambition et l’excite même. Mais les relations sont orageuses ; condamné à jouer l'indifférent pour être aimé, il se trouve en porte-à-faux perpétuel avec ses sentiments. Quand le marquis est soumis à une contrainte par sa fille, le mariage apporte à Julien titre, terres, brevet de lieutenant, fonction, argent. Aussi peut-il se dire : «Mon roman est fini.» (page 474).
C'est alors qu'a lieu un coup de théâtre annoncé par le mystère de «Tout est perdu» (page 477). La lettre de Mme de Rênal, que l'ambitieux a lui-même provoquée, déchaîne la catastrophe, scelle son destin. Le récit se déroule alors avec une grande rapidité (pages 479, 480). On peut s'interroger sur l'attentat de Verrières et sur la suite du roman, critiquer ou justifier la façon dont Stendhal le conduit à partir du moment où arrive à Paris la lettre de Mme de Rênal, trouver le dénouement bizarre. À quelle logique psychologique obéit alors Julien : est-il dans un état second ou dans une constante lucidité? Ce n’est certes pas parce qu’il ne penserait plus qu’à Mathilde qu’il voulut tuer Mme de Rênal, ni pour se venger de l'aristocratie. En tout cas, il revient à lui page 481 : «Ma foi, tout est fini [...] Oui, dans quinze jours la guillotine... ou se tuer d’ici là». Certains critiques ont pu se demander pourquoi la lettre porte un coup si rude au sceptique et cynique marquis de La Mole ; pourquoi il rompt brutalement un projet de mariage que tant de motifs majeurs rendent indispensable ; pourquoi Julien, sitôt mis au fait, au lieu de se précipiter chez le marquis et de lui montrer son erreur, passe chez un armurier, part pour Verrières et tire deux coups de pistolet sur Mme de Rênal. Peut-on n'expliquer son comportement que par la fidélité de Stendhal au fait divers, en oubliant que le bonheur avec Mme de Rênal n'en est pas inspiré? Pour d'autres, le crime de Julien est un acte nécessaire, et la brièveté de Stendhal est une preuve de son génie car il aurait senti spontanément que son héros, qui, d'habitude, cherchait ses raisons d'agir dans une ardente méditation intérieure, devait, sous le coup d'une émotion forte, se déterminer soudain et commettre son crime, poussé comme à son insu par une irrésistible impulsion, dans un de ces sursauts instinctifs et pleins de contradictions du cœur humain. En fait, le coup de théâtre est double : au moment où Julien a tout perdu, il a tout gagné («Jamais je n’aurai été plus heureux» [page 524]) car la fin du roman marque un revirement complet dans les rapports entre amour et ambition («Il considérait toutes choses sous un nouvel aspect, il n’avait plus d’ambition. Il pensait rarement à Mlle de La Mole. Ses remords l’occupaient beaucoup et lui présentaient souvent l’image de Mme de Rênal.» [page 487]), le premier triomphant de la seconde au terme de ce roman de formation. Les coups de feu sur Mme de Rênal (page 480) l’ont libéré du regard social, il entre alors réellement dans l'authenticité ; d'où le bonheur paradoxal éprouvé en prison, lieu clos comme « la petite grotte » dans la montagne où il fut « plus heureux qu’il ne l’avait jamais été de la vie, agité par les rêveries et par son bonheur de liberté » (page 86). Fabrice del Dongo sera, lui aussi, dans ‘’La chartreuse de Parme’’, heureux en prison. Le contraste est alors flagrant entre Mme de Rênal, qui s'abandonne au sentiment amoureux, et Mathilde, qui poursuit son rêve héroïque (le projet d'évasion [page 496]) et qui, après l'apothéose de l'exécution, conserve la tête décapitée.
Dans chacune des parties, Julien Sorel conquiert une femme d'un rang supérieur et se hisse à un niveau supérieur. Chaque fois, il est arrêté dans son ascension pour, la première fois, être obligé de passer par le séminaire dont il est sauvé miraculeusement, et, la seconde fois, détruire lui-même sa situation sociale, connaître la condamnation et la prison. La première histoire d'amour vient donc perturber la seconde par une péripétie tout à fait extraordinaire et s'imposer comme la seule vraie, le bonheur vécu finalement avec Mme de Rênal constituant un véritable « happy ending ». Il y a donc d'abord un certain parallélisme entre les deux parties, puis, soudain, une brusque divergence et une issue à la fois fatale et heureuse, ce qui est exceptionnel. 

Ce roman, qui se veut l'enregistrement des faits et des pensées, qui a quelque chose du roman picaresque, enfilant les situations, saisissant puis abandonnant des personnages secondaires, qui suit Julien dans sa continuelle course de vitesse avec la société, est emporté par un rythme rapide. Comme il aurait été composé sans plan, par un chapelet d'improvisations qui reflétaient l'évolution des personnages selon l’état d'esprit quotidien de Stendhal qui aurait procédé par saccades, ellipses, coups de sang, parfois, par manque de transition, l'image saute, comme elle le faisait au début du cinéma muet.  
Comme il faut bien à ce drame une exposition, elle est faite dans les chapitres 1 à 5 qui nous font connaître Verrières, avec une technique qui n'est pas très différente de celle du cinéma, et surtout certains personnages essentiels. Mais, dans le reste du livre, les descriptions sont rares (même si «Ie roman est un miroir qu'on promène sur un chemin», [page 90]). Contrairement à Balzac qui détaillait avec minutie le cadre où allait se dérouler l'action, Stendhal n'accordait guère d'importance au décor ; c'est que celui-ci ne vient pas déterminer l'action qui s'y déroulera. Il n'avait pas la patience de créer des atmosphères, de faire germer lentement des personnages de leur cocon. Il voulut faire du « Walter Scott abrégé, en sautant les descriptions qui ennuient ». Le lecteur se familiarise tout de même avec ces lieux qui seront le théâtre des grands événements mais dont la description alourdirait les moments de grande intensité dramatique. Quant aux personnages, ils se décrivent eux-mêmes par leurs actes. Cependant, Stendhal se reprochera de n'avoir pas décrit physiquement les personnages dans la scène du salon des La Mole.
Les digressions sont peu nombreuses : celle sur le comportement naturel et le comportement influencé par les romans (page 51) - celle sur la conspiration ultra (page 151) - l'histoire de Geronimo (page 169-171) - le duel envisagé avec l’amant d’Amanda Binet (page 182-184) - la péripétie qui occupe tout un chapitre (II, 6, pages 287-293) de la querelle de Julien avec le cocher de M. de Beauvoisis qui entraîne un duel avec celui-ci, à son tour mécontent de ne s’être battu qu’avec «un simple secrétaire de M. de La Mole» (péripétie qui pourrait être un caprice de l'improvisation). 
N’étant donc pas vraiment diminuée par les descriptions ou les digressions, la tension se maintient, monte progressivement, culmine dans des moments de suspense, des péripéties parfois assez rocambolesques :
- le quiproquo sur le portrait caché (page 72) ; 
- le mélodrame de la maladie du fils de Mme de Rênal, du sentiment de culpabilité de celle-ci (« Je me jette dans la fange ; et, par là peut-être, je sauve mon fils. » [page 131]) comme de Julien et, malgré tout, la persistance de leur amour : « Leur bonheur avait quelquefois la physionomie du crime. » (page 133) (pages 128-133) ;
- l’épisode du séjour de Julien dans la chambre de Mme de Rênal : l’échelle utilisée pour y accéder, lui «le coeur tremblant, mais cependant résolu à périr ou à la voir», se disant : «Gare le coup de fusil !» (page 235), connaissant avec elle une nuit de passion, passant toute la journée suivante caché dans une chambre (page 243), retrouvant enfin son amoureuse jusqu’à ce que surgisse M. de Rênal (page 245) et qu’il doive fuir et «entendre siffler une balle» (page 246) ;
- l’épisode de la nuit passée dans la chambre de Mathilde avec de nouveau une échelle pour y accéder (page 383 où le récit se fait très haletant : «Il volait en montant l’échelle, il frappe à la persienne ; après quelques instants Mathilde l’entend, elle veut ouvrir la persienne, l’échelle s’y oppose : Julien se cramponne au crochet de fer destiné à tenir la persienne ouverte, et, au risque de se précipiter mille fois, donne une violente secousse à l’échelle et la déplace un peu. Mathilde peut ouvrir la persienne.»)
Enfin, la tension se précipite dans le dénouement. 
Les fins de chapitres sont souvent habiles : dans la première partie, celle du chapitre VIII (page 65) qui prépare la scène de la main prise (pages 66-68) - celle du chapitre XVI (page 108 : «Il eût voulu pouvoir la consulter sur l’étrange tentation que lui donnait la proposition de Fouqué, mais un petit événement empêcha toute franchise.») ; dans la seconde partie, celle du chapitre X : « M’aime-t-elle? » (page 328), celle du chapitre XIV (page 354). 
La narration est parfois accélérée avec quelque désinvolture : «Mais, quoique je veuille vous parler de la province pendant deux cents pages, je n’aurai pas la barbarie de vous faire subir la longueur et les “ménagements savants” d’un dialogue de province.» (page 19) - «Nous ne répéterons point la description des cérémonies de Bray-le-Haut ; pendant quinze jours, elles ont rempli les colonnes de tous les journaux du département.», (ce qui est aussi un effet de réalité [page 123]) - «Nous craignons de fatiguer le lecteur du récit des mille infortunes de notre héros.» (page 207) - «Nous passons sous silence une foule de petites aventures.» (page 286) - «Mais il est plus sage de supprimer la description d’un tel degré d’égarement et de félicité.» (384).
Les grandes scènes sont tout de même préparées : 
- l'église de Verrières est présentée, au début du roman, dans une atmosphère tragique («Julien crut voir du sang près du bénitier», effet dû au «reflet des rideaux rouges» [page 37]), annonce l'épisode du meurtre où les mêmes rideaux seront «cramoisis» (pages 480-481) ; d'autre part, un présage de l'exécution de Julien y est donné puisqu'il y découvre un article qui relate les «détails de l'exécution de Louis Jenrel, exécuté à Besançon le... », qu'il remarque que son nom finit comme le sien (il en est même l’anagramme) ; on peut y voir un élément irréaliste, mais s'impose ainsi le leitmotiv du thème de la condamnation à mort («Je ne vois que la condamnation à mort qui distingue un homme, pensa Mathilde, c’est la seule chose qui ne s’achète pas.» [page 308] - «Tout se passa simplement, convenablement, et de sa part sans aucune affectation.» [page 539]) ;
- il est question de M. de La Mole dès le début et il est présent dès la page 124 ; 
- le bonheur avec Mme de Rênal et les enfants (page 161) annonce celui de la fin ;
- l’échelle utilisée pour monter à la fenêtre de la chambre de Mme de Rênal (page 235) annonce celle utilisée pour accéder à celle de Mathilde (page 383) ;
- les scènes dans la bibliothèque préparent les amours de Julien et de Mathilde ;
- l'admiration de celle-ci pour la condamnation à mort (page 308) annonce son exaltation finale. 

Le roman est divisé en deux parties presque égales : ‘’Livre premier’’ où l’action se passe en province ; ‘’Livre second’’ où l’action se passe principalement à Paris, chacune avec un épisode sentimental et une fin qui incite à la réflexion. Se déroulent deux histoires d’amour : dans un cas, coup de foudre mutuel, froideur dans l’autre ; clandestinité dans les deux cas ; épanouissement complet du sentiment dans le premier cas où le cœur domine la raison, montagnes russes dans le second où la raison domine le coeur. Le personnage de Julien, parti de l'âpre tension haineuse de son «rôle de plébéien révolté » (page 325), s'inscrit dans une courbe, un mouvement de formation romanesque qui le conduit au bonheur amoureux de la prison et à l'héroïsme simple et «naturel» de sa mort : cet apaisement acquis, grâce à l'expérience d'une maîtrise de soi que lui donnent et le dandysme parisien et la reconquête de Mathilde, transforme et parachève, après le « meurtre» de Mme de Rênal, le héros ; la prison est le moyen et le symbole de cette conversion du personnage à la générosité. 

Les chapitres sont nombreux, brefs, constituant une simple succession d'épisodes selon l'ordre chronologique ; les plus longs sont “Un roi à Verrières” (pages 114-127), “Dialogue avec un maître” (pages 140-153), “Le premier avancement” (pages 215-230), “Un ambitieux” (pages 230-246). 
Le récit fait alterner des épisodes de longue durée et des moments plus courts (chapitres I à VI : trois jours ; VII et VIII : sept mois ; VIII à XVI : dix jours ; XVII : des mois ; XIX à XXI : quelques jours ; XXII, XXIII : plusieurs mois,...). Stendhal passe d’un chapitre d'intrigue romanesque à un chapitre d’étude de mœurs, fait suivre des études précises de sentiments par de longues transitions qui permettent aux personnages d'évoluer.

La narration s'accorde au déroulement chronologique. Les retours en arrière sont peu nombreux et ils sont utilisés pour donner des compléments d'information : la mention de la visite de M. Appert (pages 19-23), l'évocation du passé de Julien (pages 35-37). L'anticipation est exceptionnelle (la découverte par Julien, dans l'église de Verrières, de l’article de journal [page 37]). On trouve aussi une projection page 123 : «Plus tard, il entra dans les fonctions de Julien de vérifier les comptes de ce qu’avait coûté cette cérémonie.»
Mais le temps n'est pas mathématique : il est subjectif, le rythme n'étant pas uniforme, le tempo variant, ce qui ménage une alternance d'épisodes de longue durée (le malheur est vécu avec lenteur : l'arrivée au séminaire [page 187]) et de moments plus courts, qui sont même éludés dans des ellipses (pages 102, 383) ; au contraire, le bonheur précipite la fuite du temps : Julien et Mme de Rênal en font l'expérience douloureuse dans leurs moments heureux. 
La reconstitution de la chronologie est possible, même si le romancier ne nous dit pas : «Nous sommes en 1830», car des éléments (l'anniversaire de l'exécution de Boniface de La Mole, le 30 avril 1574, l'allusion au succès d'”Hernani” [page 322] et à la prise d'Alger [page 350]) permettent de dater l'action de manière précise. Chacun des grands séjours de Julien chez M. de Rênal et chez le marquis de La Mole dure environ un an. Avec l'intermède du séminaire et le temps de son emprisonnement, on a pu déterminer que l'exécution de Julien a pu avoir lieu le 25 juillet 1831.

Le roman est écrit à la troisième personne. Le point de vue est donc objectif mais presque jamais omniscient. C'est en fait «un point de vue avec», le point de vue de Julien primant. La focalisation est constamment sur lui, qui est toujours présent, le scénario étant comme une succession de gros plans. On voit les choses comme il les voit :
- l'épisode de la main prise (page 67) n'est perçu qu'à travers l'agressive intentionnalité du jeune précepteur ; 
- nous ne découvrons l'abbé Pirard qu'à travers la terreur de Julien (page 187) ; 
- la comédie à laquelle se livre l'évêque d'Agde (page 120) est surprise avant d'être comprise par le jeune clerc ; 
- de même, lors des scènes à la fenêtre de Mme de Rênal (page 235), de l'attentat (pages 479-480), de l’entrée à la prison (page 481), on a ses monologues intérieurs, auxquels Stendhal recourt abondamment car ses héros sont des fervents de l’introspection. Ainsi une hiérarchie s’établit entre les personnages dont les pensées sont transcrites sous forme de monologues intérieurs et ceux qui sont vus uniquement de l’extérieur. 
C'est en épousant le regard de son héros, en montrant la réalité telle qu’elle est perçue à travers la personnalité de Julien, qui, selon un procédé cher aux philosophes du XVIIIe siècle, est une sorte d'« Ingénu » qui traverse la société française, les milieux de Verrières, de Besançon et de Paris, que Stendhal tendit vers ce que Blin nomma «le réalisme subjectif». Cette technique du point de vue n'exclut cependant ni l'ironie ni la distance. 

Cette restriction de champ est compensée par la présence à peu près constante du narrateur, par ce qu’on appelle les intrusions de l'auteur. 
Elles lui permettent de :
 - prétendre être passé à Verrières : «Mes regards ont plongé dans la vallée du Doubs.» (pages 17-18) - «Je ne trouve quant à moi qu’une chose à reprendre au “Cours de la fidélité”.» (page 18)  
- indiquer qu’il connaît la province : « quoique je veuille vous parler de la province pendant deux cents pages, je n’aurai pas la barbarie de vous faire subir la longueur et les ‘’ménagements savants’’ d’un dialogue de province » (page 19) ;
- se situer politiquement : «quoiqu’il soit ultra et moi libéral, je l’en loue» (page 18) ;
- introduire un complément d'information : «Comme notre intention est de ne flatter personne, nous ne nierons point que Mme de Rênal...» (page 63) - «Nous avons oublié de dire que, depuis six semaines, le marquis était retenu chez lui par une attaque de goutte.» (page 294). 
- alors que Julien, en mission pour le marquis de La Mole et jouant le rôle de secrétaire, est censé écrire, interrompre son récit par cette parenthèse désinvolte : « (Ici l’auteur eût voulu placer une page de points. Cela aura mauvaise grâce, dit l’éditeur, et pour un récit aussi frivole, manquer de grâce, c’est mourir) » et continuer avec un prétendu dialogue entre eux. (page 401).
- susciter une connivence avec le lecteur : « Ne vous attendez point à trouver en France…(page 15) - «Les salons que ces messieurs traversèrent au premier étage, avant d’arriver au cabinet du marquis, vous eussent semblé, ô mon lecteur, aussi tristes que magnifiques.» (pages-260-261) - «Le lecteur est peut-être surpris de ce ton libre et presque amical.» (page 294) - «Tout l'ennui de cette vie sans intérêt que menait Julien est sans doute partagé par le lecteur. Ce sont là les landes de notre voyage. » (page 439)
- commenter l’action pour tenter de prévenir des critiques : «Nous avouerons avec peine, car nous aimons Mathilde […] Nous nous hâtons d’ajouter….» (page 330) - dans une longue parenthèse qu’il ouvre à propos de Mathilde où il feint de se plaindre : «Cette page nuira de plus d’une façon au malheureux auteur. Les âmes glacées l’accuseront d’indécence. Il ne fait point l’injure aux jeunes personnes qui brillent dans les salons de Paris, de supposer qu’une seule d’entre elles soit susceptible des mouvements de folie qui dégradent le caractère de Mathilde. Ce personnage est tout à fait d’imagination et même imaginé bien en dehors des habitudes sociales qui, parmi tous les siècles, assureront un rang si distingué à la civilisation du XIXe siècle. […] Malheur à l’homme d’étude qui n’est d’aucune coterie […] Hé, monsieur, un roman est un miroir qui se promène sur une grande route […] Maintenant qu’il est bien convenu que le caractère de Mathilde est impossible dans notre siècle, non moins prudent que vertueux, je crains moins d’irriter en continuant le récit des folies de cette aimable fille.» (pages 380-381).
- surtout exprimer un jugement personnel sur Julien Sorel, l’écart entre la lucidité du narrateur et l’inconscience du personnage faisant naître l’ironie, la distance ou la répulsion : «Ce mot vous surprend? Avant d’arriver à cet horrible mot, l’âme du jeune paysan avait eu bien du chemin à parcourir.» (page 35) - «Le plaisant, avec tant d’orgueil, c’est que souvent il ne comprenait absolument rien à ce dont on lui parlait.» (page 55) - «....si j’ose parler ainsi de la grandeur des mouvements de passion qui bouleversaient l’âme de ce jeune ambitieux...» (page 78) - «Cet être dont l’hypocrisie et l’absence de toute sympathie étaient les moyens ordinaires de salut, ne put cette fois supporter l’idée du plus petit manque de délicatesse envers un homme qui l’aimait.» (page 88) - « J’avoue que la faiblesse, dont Julien fait preuve dans ce monologue, me donne une pauvre opinion de lui. » (page 157) - «Si, au lieu de se tenir dans un lieu écarté, il eût erré au jardin et dans l’hôtel de manière à se tenir à portée des occasions, il eût peut-être, en un seul instant, changé en bonheur le plus vif son affreux malheur.» (page 372) - «Comment arrivé à cet excès de malheur, le pauvre garçon eût-il pu deviner que c’était parce qu’elle parlait à lui, que Mlle de La Mole trouvait tant de plaisir à repenser aux velléités d’amour qu’elle avait éprouvées jadis pour M. de Caylus ou M. de Croisenois.» (page 374) - « C’est, selon moi, l’un des plus beaux traits de son caractère…» (page 451) - «suivant moi, ce fut une belle plante.» (page 491).

Il appelle souvent son personnage «notre héros», mais c’est pour se moquer de lui, l’expression de l’adimation étant rare. Mathilde aussi a droit à de tels commentaires : «Nous avouerons avec peine, car nous aimons Mathilde, qu’elle avait reçu des lettres de plusieurs d’entre eux [les jeunes aristocrates qui la courtisent] et qu’elle leur avait quelquefois répondu. Nous nous hâtons d’ajouter que ce personnage fait exception aux moeurs du siècle.» (page 330).

Ces intrusions témoignent de l’impossibilité pour Stendhal de se faire oublier, de sa volonté de se mettre en scène. Elles sont même le signe de son égotisme. Elles instaurent aussi une relation avec le lecteur, créant ainsi la communauté des « happy few » (auxquels il a dédicacé son livre à la fin de ‘’La chartreuse de Parme’’), les privilégiés, qui le comprennent vraiment. 



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